« Tu me jures sur ma propre tête que tu feras attention à toi hein? » Debouts dans l'entrée, mes mains posées sur ses hanches, je fais de dernières mises en garde à mon petit ami pour être sûr qu'il fasse très attention à lui. La dernière fois qu'il est parti pour la journée, je l'ai retrouvé étendu au milieu de la rue dans une mare de sang. Je ne tiens vraiment pas à revivre cet épisode. J'ai essayé de le garder le plus longtemps possible à la maison, jusqu'à ce qu'on lui enlève ses points de suture mais malheureusement, s'il ne veut pas échouer dans ses études, il doit se rendre au lycée de la ville aménagé en une université pour les élèves pour âgés. Je n'ai vraiment pas envie de le laisser filer mais il faut que je lui fasse aussi confiance. Dans une ville où toutes les communications sont coupées, ça va être très dur de ne pas passer la journée entière à flipper mais ma soeur apparaît dans la pièce et me regarde avec son regard de grande soeur qui me fait comprendre de couper un peu le cordon. Qui l'eu cru? Moi qui ait toujours refusé d'être attaché à qui que ce soit et qui était tout bonnement incapable d'aimer quelqu'un suite à ce qu'il s'était passé avec Théo... « Promis. Je serais prudent. File faire ton sac à dos petit aventurier. » Oui bon, pas besoin de me rappeler que je suis un nain hein. On s'embrasse une dernière fois avant qu'il ne quitte l'appartement. Après avoir fermé la porte, je fait un sourire à ma soeur et file dans ma chambre pour préparer mon sac à dos car aujourd'hui, je vais en randonnée avec Chelsea. C'est vrai que j'ai un peu insisté pour que l'on fasse ça mais l'idée de sortir et de me changer les idées vient d'elle. Après, il a fallu jouer de mon regard de chien battu pour qu'elle accepte la virée en forêt plutôt que la virée au centre commercial. Mais j'ai réussi et maintenant qu'elle est prête, il faut que je me dépêche avant qu'elle ne change d'avis.

J'enfile un short en jeans, un débardeur, j'accroche mes lunettes de soleil au col de mon haut, mes Vans blanches et je fourre dans mon sac de quoi boire, manger, une carte et même une lampe de poche et des allumettes au cas où on rencontrerait un problème. Depuis l'agression de Lennox, j'envisage tous les scénarios les plus improbables. Et puis dans le fond, j'ai peur de tomber sur Théo même si ça n'arrivera pas étant donné que pour quelques semaines, il est encore en prison. Mais c'est comme si mon cerveau voulait déjà se préparer à cette éventualité... « Je suis prêt. » dis-je à Chelsea en la rejoignant dans l'entrée. On ferme la porte de l'appartement à double tours et on marche en direction de la forêt. Je suis plutôt silencieux parce que depuis la matinée chez le juge, on n'a pas reparlé avec ma soeur mais je sais que Lennox lui a parlé de ma crise de panique l'autre soir et la connaissant, elle doit s'inquiéter pour moi. Elle a été là le jour de mes dix ans, lorsque Théo m'a ôté toute innocence et elle est restée près de moi pour me soutenir, me rassurer, m'aider à aller mieux chaque jour après cet événement. Ca allait beaucoup. Ma thérapie m'avait aider à m'ouvrir un peu aux autres - à Lennox entre autre - et j'arrive à faire des nuits sans cauchemars mais malheureusement, ceux-ci sont réapparu depuis le jour où j'ai revu Théo.

Lorsqu'on arrive dans la forêt et qu'on commence à grimper entre les racines et les feuilles, je ne peux pas m'empêcher de me retourner vers ma soeur pour me moquer gentiment d'elle. Chelsea est l'exemple même de la jeune femme modèle qui travaille et qui porte des Louboutins. On ne peut vraiment pas l'imaginer en train de faire une randonnée et je ne me gêne pas pour la taquiner à ce propos. « Tu veux qu'on fasse une pause soeurette? » Ma soeur, je l'aime profondément. Sans elle, je ne sais pas ce que j'aurais fait suite au viol de mon grand frère et aussi lorsque le Dôme s'est abattu sur Fort Bliss. La première personne que j'ai cherché à retrouver après ça, c'était ma soeur. Nos parents m'ont renié lorsque je leur ai avoué aimer les hommes et même s'ils veulent que ça reste secret, Chelsea elle, m'a accepté comme j'étais et c'est sûrement le plus beau cadeau qu'elle a pu me faire. Sauf qu'à présent, j'ai envie de légèreté et qu'on pense un peu à autre chose qu'à toutes ces épreuves que la vie nous a mis sur le chemin depuis ces dix dernières années.

Je sais que cette journée risque d’être pénible pour ma sœur. On est de la même famille, on s’aime plus que tout mais c’est vrai qu’on peut être différents. Chelsea préfère les fringues, les talons, les sorties et son boulot alors que moi je suis quelqu’un de très nature, qui ne se déplace jamais en voiture et qui adore aller marcher dans la forêt ou près d’un ruisseau. Ca nous a toujours différencier cette passion qu’on n’a pas du tout en commun, pourtant, aujourd’hui elle a bien voulu faire l’effort de m’accompagner. Je pense que vu la situation actuelle, Chelsea accepterait d’aller sur la lune rien que pour me faire plaisir. Ce qui me touche déjà énormément. Et puis c’est un challenge personnel aussi, j’ai envie de lui prouver que là où je l’emmène ce n’est pas vide de sens et que ça vaut vraiment la peine de s’encoubler sur les racines et de se prendre des branches d’arbres dans la figure. En fin de compte, la seule chose qu’on a toujours eu en commun avec ma sœur c’était notre amour pour les hommes, même si nous n’aimons pas du tout le même type d’homme. J’aime ceux qui sont simples, qui ont une bonne hygiène de vie et qui ont la tête dans la lune alors que les conquêtes de Chelsea sont des hommes sûrs d’eux, qui gagnent beaucoup d’argent et qui n’ont que des chiffres à la bouche. Même lorsqu’on se trouve un point commun, on est pas pareils. Mais ça ne nous a pas empêchés de toujours bien s’entendre, pour le plus grand bonheur de nos parents. Même si aujourd’hui nos parents ne nous adresse plus la parole à cause de ma sexualité et à cause de ce qu’il s’est passé avec Théo. Ils ne voulaient pas que ça se sache qu’un de leur fils était un violeur de petit garçon et qu’il croupissait désormais au fond d’une cellule. Ils ne voulaient encore moins que ça se sache que leur deuxième fils, le plus jeune des trois enfants, était un homosexuel. Ils sont partis vivre dans une ferme loin du centre ville et nous ont fait promettre de nous taire. Je ne sais même pas si leur ferme est prise sous le Dôme où s’ils sont à l’extérieur… Quoi qu’il en soit, malgré tous les drames que les Caldwell ont traversés, ma sœur et moi on est toujours restés très soudés et suite à la séance l’autre jour avec le juge, c’est le moment ou jamais d’être à nouveau solidaires. Je pense qu’elle sait très bien ce que je ressens depuis l’autre jour, elle m’a connu dans les pires moments de ma vie et elle sait à quel point je peux rechuter aussi rapidement que la dernière fois. Je n’ai pas besoin de lui dire tout ça, avec Chelsea c’est naturel.

Je ne peux pas m’empêcher de sourire malicieusement en voyant ma sœur marcher de manière exagérée pour éviter les racines et les rochers. Je pense que cette journée va être une vraie torture pour elle mais j’ai envie de lui montrer mon coin préféré de Fort Bliss. Je lui jette un regard avant se lui sourire et de continuer à marcher. Non, ça je sais que ma sœur n’est pas du genre à se laisser faire mais dans le cadre de son boulot. En pleine nature, je ne suis pas sûr qu’elle puisse le faire. Je décide de l’attendre, le but n’étant pas non plus de créer une dispute entre nous. Mains sur les hanches, je lève le nez vers la pointe des arbres. Il fait chaud à cause du Dôme mais moi ça ne me dérange pas. J’ai toujours préféré l’été à l’hiver. Je retire une anse de mon sac à dos et fouille dedans pour trouver ma bouteille d’eau, quelque chose qui ne va pas tarder à devenir rare à Fort Bliss, tout comme la nourriture et les produits de tous les jours. Heureusement qu’avec Chelsea on a une quantité qui va nous permettre de survivre à la maison… Lorsque ma sœur arrive enfin à ma hauteur, je lui lance un sourire d’encouragement même si au fond je lutte pour ne pas laisser le coup de blues m’envahir. « Tu verras, c’est magnifique en haut. C’est ici que je suis venu après que le Dôme soit tombé. On le voit très bien briller à la lumière du soleil. C’est quand tu m’as cherché pendant des heures et que lorsque je suis rentré tu m’as engueulé de tous les noms d’oiseaux. » dis-je pour la taquiner. Mais comme je ne veux pas la vexer, je l’embrasse vite sur les cheveux avant de me remettre en marche. J’ai envie d’être de retour assez tôt à la maison pour être là avant que Lennox ne rentre. J’ai déjà hâte de le retrouver et j’espère qu’il est prudent, comme il me l’a promis. « Encore une bonne demie heure et on est en haut Chel’. »